L’odorat

 
Roland Salesse

Roland Salesse

Neurobiologiste de l'olfaction.

 

L'odorat possède ce "pouvoir mystérieux" de réveiller en nous des émotions et des souvenirs dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Comment cela est-il possible ?

Les produits odorants portés par l'air que nous respirons sont reconnus, tout en haut de nos fosses nasales, par des cellules nerveuses, ou neurones, qui portent des récepteurs olfactifs. Dans l'espèce humaine, on trouve environ 400 types différents de récepteurs. Si chacun de ces récepteurs ne reconnaissait qu'un seul produit chimique, alors on ne pourrait sentir que 400 odeurs. Or, on en sent beaucoup plus et l'on ne pourrait pas apprécier les magnifiques fragrances d'Elauments avec un répertoire aussi pauvre. Mais ces récepteurs possèdent la propriété particulière de pouvoir reconnaître non pas un, mais quelques odorants ; tandis qu'un même odorant peut être capté par plusieurs récepteurs. Au total, cette logique floue d'interaction génère un nombre de combinaisons incroyablement grand, dont les estimations dépassent peut-être les mille milliards ! Alors nous pouvons détecter les multiples facettes des parfums, et ensuite enregistrer leur image dans notre cerveau, tout cela de façon non-consciente, au moins dans les premiers stades du traitement du message olfactif.

Car, après avoir été stimulés par les odorants, les neurones olfactifs envoient un influx nerveux vers le cerveau, d'abord vers les bulbes olfactifs (un pour chaque narine) puis vers les cortex olfactifs (un à droite, un à gauche) qui font partie du système limbique. Chaque cortex est lui-même composé de trois structures nerveuses : le cortex piriforme, l'amygdale et l'hippocampe, qui supportent les fonctions respectivement de mémoire sensorielle olfactive, de carrefour des émotions et de chef d'orchestre de la mémoire. De plus, ces centres travaillent très vite, en une centaine de millisecondes, et, surtout, de façon non consciente : si bien qu'on peut être gagné par l'émotion et rappeler des souvenirs avant même d'avoir conscience qu'on a senti quelque chose. L'odorat tient son "mystérieux pouvoir" de cette particularité anatomo-fonctionnelle, que ne possèdent pas les autres sens, d'être connecté directement au système limbique, la plaque tournante de notre personnalité émotionnelle et mnésique.

Le cortex piriforme, c'est le siège de la mémoire sensorielle (non consciente). C'est ici que s'enregistre, à chaque instant de notre vie, le "portrait-robot" des senteurs que nous rencontrons. Cette odeur de rose que nous avons senti la première fois s'est enrichie progressivement de toutes les roses que nous avons humées. En retour, lorsque nous inspirons un effluve inconnu, si l'image correspond au moins en partie au portrait-robot, alors nous pouvons déclarer "c'est une rose".

L'amygdale est un noyau nerveux complexe impliqué dans l'évaluation émotionnelle des stimulus sensoriels. Mais l'odorat l'active directement, et de façon non-consciente, alors que les autres sens passent d'abord par une étape de représentation consciente (par exemple au niveau du cortex occipital pour la vision). L'amygdale, reliée à de multiples zones du cerveau, fonctionne comme un système d'alerte qui active, suivant la valence des émotions, le système du plaisir et de la récompense, ou bien les systèmes de fuite ou de lutte.

L'hippocampe doit son nom à sa forme ressemblant au gracieux petit cheval des mers. Il joue un rôle dans l'enregistrement et le rappel des souvenirs conscients car il est connecté à toutes les zones du cortex cérébral. C'est pourquoi, dans le fameux épisode de la madeleine dans "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust, l'indice olfactif du biscuit trempé dans le thé agit comme le déclencheur de la reconstitution d'un épisode de la vie du narrateur, qui mobilise des représentations stockées dans des parties très diverses du cerveau : l'image de la tante Léonie, l'heure de la sortie de la messe, le plaisir de cet instant. Comme il s'agit d'un souvenir ancien, sa reconstruction prend tu temps mais l'émotion qu'il portait a précédé sa conscience.

Enfin, l'image olfactive émerge à la conscience lors d'une étape supplémentaire, au niveau du cortex orbitofrontal. Cette zone de matière grise supporte l'intégration des multiples facettes du message sensoriel : non seulement sa qualité mais aussi ses dimensions personnelles et esthétiques. Ce cortex est plus épais chez les parfumeurs, qui sont comme les "athlètes" de l'olfaction. Cependant, il fonctionne très bien chez les profanes : même si l'on n'identifie pas l'odorant, on peut parler de ce que l'on ressent.

Parce qu'on provoque des phénomènes fugaces, pour bien déguster une fragrance, il convient de se mettre dans une ambiance propice et dans un état réceptif. Le message olfactif est évanescent et peu habituel. Pour mieux l'apprécier il faut fermer les yeux, ce qui libère déjà une bonne partie du cerveau. Il faut humer par petites touches pour ne pas saturer les récepteurs de notre nez. Il faut enfin laisser venir la première idée, la première image, le premier mot ou la première émotion, aussi saugrenus soient-ils, car ils se sont infiltrés à travers notre vigilante conscience, pour une fois prise en défaut, nous révélant à nous-mêmes. L'important n'est pas de reconnaître le parfum mais de laisser émerger ces vapeurs du passé.

Comme chacun d'entre nous possède sa propre histoire à l'égard des senteurs, une même composition peut avoir des effets variés. Mais l'ouverture, la disponibilité, pour une nouvelle expérience autorise de nouvelles associations qui permettent d'accueillir une proposition comme celle d'Elauments et d'en tirer le meilleur bénéfice.

 
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